Le monde entier a célébré la journée internationale de la jeunesse le jeudi 12 aout 2021.
A l’occasion de cette journée, Féminin Actu a rencontré une jeune femme du nom d’Adéline Ilboudo qui a accepté se confier à travers un entretien.
Motivée par le changement, spécialiste de la diplomatie et des relations internationales, responsable du plaidoyer à NIYEL (entreprise de campagnes, de plaidoyer et d’affaires publiques axée sur l’impact et visant à rendre le monde meilleur , qui travaille avec divers créateurs de changement en Afrique), Chargée de plaidoyer du mouvement ” Initiative Jeunesse ” pour la protection de la forêt de Yacouba Sawadogo, Prix Nobel alternatif 2018 et obtention du ” Doctor Honoris Causa Award ” ; Chargée de communication, relations publiques et externes de RAWS (Réseau des Alumni du WoLaf et du SiFE ; Promotrice du projet ” Ma Planète Mon Patrimoine ” ; Vice-présidente en communication, marketing et relations publiques de l’AIESEC (association internationale des étudiants en sciences économiques et commerciales) ; bénévole national dans la lutte contre le COVID 19 ; bénévole à la Croix Rouge ; soutenue par les valeurs de la vie associative et les exigences de la vie professionnelle, Adeline Ilboudo a une expérience dans des contextes humanitaires et professionnels, dont la plupart dans la sous-région et dans des institutions internationales.
Ces expériences selon ses dires, lui ont permis de développer sa curiosité, son esprit d’initiative, sa capacité d’adaptation et sa sensibilité culturelle et sociale.
Ces expériences en outre contribuent également à aiguiser non seulement sa facilité de communication et de collaboration avec les autres, mais aussi son esprit critique et sa capacité à résoudre des problèmes complexes, a-t-elle ajouté.
Bénévole humanitaire et entrepreneur social depuis plusieurs années, elle ne ménage aucun efforts pour défendre une cause à laquelle elle croit fermement : les injustices sociales.
Féminin Actu (F.A) : En tant que jeune, que peut-on faire pour améliorer les conditions de vie des jeunes en Afrique ?
Adéline Ilboudo (A.D): L’amélioration des conditions de vie des jeunes peut être réglée à deux niveaux : Le premier peut être considéré comme une solution à court terme « Donner aux jeunes l’opportunité de s’exprimer et de donner leurs avis sur des questions de haut niveau qui minent nos sociétés. Plusieurs de nos jeunes ont été formés et ce sont des experts. La majorité (au chômage ou pas) vit les réalités du pays au quotidien. Qui mieux qu’eux pour donner leurs avis sur les difficultés qu’ils rencontrent et la manière de régler ces problèmes ».
Une des solutions à long terme est que nous accordions une place d’honneur à l’éducation en Afrique « On semble avoir perdu nos valeurs, notre culture… Et le peu qui en reste, il faut l’inculquer à la plus jeune génération. Je pense que les plus jeunes sont de meilleurs relais pour une amélioration des conditions de leur vie. Pour moi, tout passe par une éducation de qualité qu’il faut promouvoir aux plus jeunes, que ce soit dans nos institutions éducatives ou au sein de nos familles. Une révision de nos systèmes éducatifs est indispensable pour un changement positif plus durable ».
F.A : Y’a-t-il des actions que vous avez eu à mener en ce sens ? Si oui, pouvez-vous nous les énumérer ?
A.I : En dehors des sensibilisations que je mène souvent à petite échelle auprès des politiques quand l’occasion se présente, j’ai quelques fois participé à des séminaires où je pouvais faire entendre ma voix. En tant que membre actif de l’association AIESEC, nous organisions des séminaires où nous dispensions des formations dans plusieurs domaines qui pourraient impulser le leadership des jeunes à s’affirmer encore plus et partager autour d’eux des valeurs de paix et de cohésion sociale.
J’aimerais également encourager une initiative menée par des jeunes de mon pays dénommée Programme Vacances Utiles (PVU). Une initiative que je rejoindrai bientôt d’ailleurs. Des jeunes volontaires ont décidé de donner des cours aux jeunes déplacés internes à cause de la montée du terrorisme. Ces cours donnés pendant les vacances concernent non seulement l’éducation scolaire mais aussi l’éducation sur les valeurs de cohésion sociale, du vivre ensemble, de l’entrepreneuriat…
F.A : Nous remarquons depuis un certain temps qu’il y’a changement climatique, pollution de la nature par l’homme lui-même. Comment faire selon vous ? peut-on lutter contre la pollution de la nature ? Avez-vous mené des actions en ce sens ? Et en tant que jeune, quelles solutions préconisez-vous pour emmener les jeunes à prendre conscience et à avoir un comportement responsable?
A.I : Ne dis ton pas que ce sont nos petites actions mises ensemble qui deviennent de grandes actions? J’ai à cet effet mis en place, avec le soutien de l’ambassade américaine, un projet de sensibilisation et de recyclage de déchets à l’endroit des élèves de certaines écoles, collèges et lycées de la place avec lesquels je suis en collaboration. Ce projet vise à sensibiliser et inculquer aux élèves qui ont entre 07 et 20 ans des notions de changement climatique en général et le réchauffement climatique en particulier, de développement durable, de recyclage et de reforestation, des notions indispensables à leur protection et au développement économique et social du pays. Il s’agit aussi d’apprendre aux jeunes élèves à faire le tri des déchets ramassés au sein même de la cour de l’école, et à les recycler pour avoir des produits finis réutilisables.
A la fin de l’année, les meilleurs apprenants sont récompensés lors de la cérémonie de fin d’année « Ces récompenses pour les inciter à continuer dans cette lancée, même pendant les vacances, et à être des relais de bonnes pratiques en matière de préservation de l’environnement ».
C’est un ensemble de pratiques mises en place pour emmener les jeunes à prendre conscience de la problématique du réchauffement climatique dû à l’action de l’homme et de leur capacité à lutter contre.
F.A : Vous êtes chargée de plaidoyer du mouvement « YOUTH INITIATIVE pour la protection de la forêt de Yacouba Sawadogo, prix Nobel alternatif 2018 ». Pourquoi avoir créé ce mouvement et quel est le rôle de ce mouvement ? Comment protéger d’avantage ce patrimoine même si on sait que la forêt a été clôturée?
A.I : Une citation célèbre nous enseigne ceci : « Si vous avez de la peine, si la vie est méchante avec vous, réfugiez-vous au cœur de la forêt, elle ne vous décevra jamais. Chaque plante, chaque fleur, chaque arbre, chaque animal sont la preuve vivante de la toute-puissance de Dieu et la forêt vous redonnera courage ».
Ainsi, grande est la gratitude de l’homme envers la nature.
Le mouvement Youth Initiative est né d’une table ronde entre personnes soucieuses des questions environnementales. Ayant moi-même au préalablement eu cas d’étude universitaire les problèmes que rencontre la forêt de yacouba, d’un commun accord, nous avons décidé d’en faire notre cheval de bataille. Le sujet devient d’autant plus sérieux quand nous savons qu’au Burkina Faso, plus de 300 000ha seraient perdus chaque année en moyenne du fait de la désertification. Pour le bien-être des autres, la santé, la sécurité alimentaire, et le bonheur les générations futures, Yacouba, il y’a une quarantaine d’année, a décidé de repousser le désert loin des portes de la ville de Ouahigouya. Mais hélas, cet immense espace forestier 21ha ne possédait aucun titre foncier, impossible donc de clôturer, ce qui lui faisait subir tous les maux possibles: feux de brousse, coupe abusive du bois, empiètement d’animaux en divagation et j’en passe …
Il nous était inconcevable qu’un patrimoine aussi bienfaisant soit connu et honoré à l’international et parallèlement minimisé pour ne pas dire banalisé dans nos propres contrés.
Pour ne pas être spectateurs de ce qu’on pouvait appeler inconscience, les Youth Initiative décidèrent, ensemble de protéger le poumon vert qui fait respirer la ville de Ouahigouya. L’ambition de nos actions était de faire en sorte que l’intégrité de l’une des forêts les plus importantes au Burkina comprenant notamment d’énormes bénéfices pour l’humanité tout entière, soit enrichie et maintenue, au détriment de toute action visant sa destruction. C’est à partir de là que nous avons décidé de porter ce problème à bras le corps avec un plaidoyer envers les décideurs publics en faveur de la forêt de Yacouba Sawadogo.
Au départ, nous avions deux causes à plaider :
D’une part, l’obtention d’un titre foncier qui permettrait de construire une clôture adaptée aux charges climatiques et d’autre part, l’obtention du titre de ‘’DOCTEUR HONORIS CAUSA’’.
Maintenant que la forêt est protégée, notre prochain plaidoyer sur lequel nous travaillons est que Yacouba Sawadogo soit reconnu comme Docteur Honoris Causa car c’est une bibliothèque vivante. Il a tant fait pour le Burkina Faso durant ces quatre dernières décennies et a tellement de connaissances à partager sur la préservation de notre écosystème qu’il serait indéniable ne pas le gratifier à sa juste valeur, à travers cette distinction.
Nous continuons également le suivi rigoureux sur l’état de la forêt avec une équipe basée sur place à Ouahigouya pour nous faire le point au besoin.
F.A : Selon vous, comment lutter contre les VBG (violences basées sur le genre) qui ont une peau dure au pays des hommes intègres et les éradiquer totalement ?
Une question à la fois très complexe et simpliste car elle remonte à une génération plus haute. Il faudrait à mon sens impliquer tous les acteurs. Enormément miser sur les jeunes car quelqu’un disait, ‘’on ne peut plus rien faire avec la génération de nos parents’’. En effet, il faut qu’on joue toutes les cartes sur l’éducation et la conscientisation des jeunes, leurs formations, les sensibilisations sur toutes les questions liées aux violences et aux inégalités liées au genre. C’est seulement comme cela que la minorité qui comprendra l’importance et la sensibilité des VBG pourront être des ambassadeurs et pourront rallier les autres à la cause.
F.A : Le Burkina Faso est confronté à des crises sécuritaires, à une instabilité et la cohésion sociale est en train d’être ébranlée. En tant que jeune, que pouvez-vous apporter comme contribution afin que le BF retrouve sa quiétude d’antan ?
A.I : Accompagner mes pères dans la sensibilisation et inculquer aux jeunes lors des conférences où j’ai l’occasion de prendre la parole les valeurs de cohésion sociale « Ça me déchire tellement le cœur de voir ma population s’entretuer, d’entendre un ami me raconter que son frère a été interpellé par la police dans un lieu public parce qu’il était d’origine peulh. Ça me fait tellement de peine de voir que la parenté à plaisanterie entre le mossi et le peulh peut tourner au vinaigre. Ça peut paraître égoïste de le dire mais plus jeune, quand on me racontait l’histoire du Rwanda je me disais ça ne peut pas nous arriver. Nous sommes conscients du bon vivre et nous avons des valeurs de cohésion sociale et d’acceptation de l’autre, de la culture de l’autre, de la religion de l’autre ». Je suis alors démoralisée de voir mon peuple tomber aussi bas en accusant sans preuve son voisin tout simplement parce qu’il est peulh. Mais je ne baisse pas les bras. Je continue la sensibilisation, j’encourage les autres qui font comme moi tout en espérant que plus de personnes puissent se joindre à nous.
F.A : Quels sont les principaux défis auxquels sont confrontés les jeunes ?
A.I : Le défi majeur pour moi est la place presqu’inexistante des jeunes dans les instances décisionnelles, surtout dans la gestion des affaires du pays « Je pense que si la jeunesse est plus impliquée dans la sphère décisionnelle du pays, elle pourra donner son avis sur les questions sensibles et urgentes qui touchent l’Afrique ».
L’autre défi majeur est le manque d’opportunités économiques « Les jeunes sont désœuvrés. Ils se voient obligés de céder au gain facile. Certains se laissent attirer par les sites miniers où ils pratiquent l’exploitation minière artisanale, ce qui a son lot de conséquences. D’autres se font enrôler par des groupes armés et retournent leurs vestes contre leur peuple ».
F.A : Que doit-faire la femme dans la prévention et gestion de conflits?
A.I : La femme, pour s’épanouir dans son rôle de contributeur dans la gestion des conflits, a besoin qu’on lui accorde la place qu’elle mérite d’avoir : celle de détenteur d’éducation du peuple. L’éducation passe par la femme. Elle est la mieux placée pour inculquer des valeurs de cohésion sociale, de paix et d’acception de l’autre aux enfants, qui sont les futurs hommes et femmes de ce pays. Une femme frustrée ne peut que communiquer cette frustration à ses enfants et à ceux dont elle a à charge : l’éducation.
Accorder une place primordiale à la femme dans la gestion des conflits est d’autant plus nécessaire car les femmes sont les premières victimes de la montée du terrorisme. Leurs hommes sont enrôlés ou tués sous leurs yeux. Qui de mieux placé pour être impliquées dans les consultations et dans la recherche de pistes de solutions. Elles sont des rescapées des attaques terroristes ou si on veut même des conflits communautaires entre leurs hommes. Elles sont généralement silencieuses, pas parce qu’elles n’ont rien à dire mais plutôt parce qu’elles attendent qu’on leur donne la parole car selon la culture dans certaines communautés, la femme n’a pas droit à la parole. Elles sont pourtant riches de sages conseils, d’avis, d’informations précieuses. Mères, elles sont dotées d’une fibre pacifiste duquel ne peut que découler des pistes de solutions avisées et pacifiques. Il faut penser à aller vers les femmes, je veux parler des femmes qui habitent loin de la civilisation. Celles qui vivent dans les villages reculés de Djibo, les femmes de Solhan ou encore celles d’Arbinda ou de Nassoumbou. Elles auront des choses à dire par rapport à leurs réalités. Elles auront leurs avis à donner car elles sont les plus touchées. Elles restent là, seules à éduquer leurs enfants. Et qu’est ce qu’elles éduqueront aux enfants si nous ne leur montrons pas qu’elles ont de valeur et font partie intégrante de la société. Si cela n’est pas fait, ne soyons pas étonnés de voir dans quelques années les enfants de ces pères tués ou enrôlés devenir des terroristes ou des bandits de grands chemins car ils auront reçu l’éducation d’une mère frustrée, désespérée et effacée de la vie de la société. Donnez la parole aux femmes, et vous aurez une société pacifique.
F.A : La femme étant relayée au second plan dans les instances de décision, que peut-on faire pour renverser cette donne ?
A.I : Les femmes doivent faire un travail sur elles-mêmes. Elles doivent être conscientes de leur potentiel car quoi qu’on dise, certaines femmes, aussi autonomes soient-elles, manquent souvent de confiance en leur potentiel. Il faut qu’elles en prennent conscience.
D’autre part, il faut que la société implique davantage la femme dans les médiations et les instances décisionnelles. Mais avant, la société doit apprendre à voir la femme au-delà de la femme qu’elle est mais plutôt comme un être humain rationnel avec des capacités de réflexion posées et des idées cohérentes.
F.A : Quels conseils avez-vous à donner aux jeunes ?
Aux jeunes, je leur dirai de se fixer des objectifs de vie et de veiller à ce que 80% des actions qu’ils mènent convergent vers l’atteinte de ces objectifs. C’est un bon moyen de ne pas se laisser distraire par des évènements qui peuvent nous détourner du droit chemin.
F.A : Avez-vous rencontré des difficultés tout au long de votre parcours? Si oui, comment avez-vous fait pour les supporter ?
A.I : Des difficultés, j’en ai rencontrées. Que ce soit dans mon parcours universitaire, dans les nombreuses associations où je militais ou encore dans mon initiative en faveur de l’environnement ou dans ma vie professionnelle. Il m’arrivait parfois de passer des nuits blanches à couler des larmes ou à me poser des questions. Mais le lendemain, je me rappelais de l’objectif que je m’étais fixé. Je redevenais cette jeune fille ambitieuse et pleine d’abnégation qui n’avait pas le droit d’abandonner. Je savais que j’étais un modèle pour mes jeunes sœurs. Je n’avais pas le droit de les décevoir. Cela me redonnait de la force et du tonus pour continuer.
F.A : Votre dernier mot à l’endroit des acteurs de décision ?
A.I : Ecoutez ce que l’aveugle entend, regardez ce que le sourd muet voit, vivez la souffrance du marginalisé, dormez sur la natte du sans-abri, mangez dans l’assiette du pauvre, observer, écouter, mêlez-vous à la population… C’est seulement en ce moment que vous saurez comment soigner les maux de ce monde.
F.A : Pouvons- nous transformer le monde en un monde meilleur où il fait bon vivre?
A.I : Oui ! Si et seulement si chaque dirigeant, chaque influenceur, chaque acteur de cette société laissait parler le peu d’altruisme qu’il a en lui.
Propos recueillis par Féminin Actu, votre média en ligne.
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