Au Point Afrique, A’Lelia Bundles, descendante de C.J. Walker, a conté la vraie vie de celle à qui Netflix a consacré la série « Self Made ».
« Ça m’est venu une nuit, dans un rêve. Les cheveux reflètent la beauté. Les cheveux reflètent nos émotions. Les cheveux reflètent notre héritage. Ils nous rappellent qui nous sommes, d’où nous venons et où nous allons. Les cheveux sont une force. Vous n’imaginez pas ce qu’on ressent quand on les perd. J’ai l’impression d’être née pour lutter. J’ai perdu tout espoir, j’ai abandonné mes rêves. Et c’est là que j’ai commencé à perdre mes cheveux. Qu’est-ce que j’allais devenir ? Je me posais mille questions. Si Dieu n’aime pas la laideur, pourquoi m’a-t-il donné la vie ? Pourquoi m’a-t-il donné si peu de beauté alors que le monde en est rempli ? Puis, tout à coup, ma vie entière a basculé. » Ces mots sont de Sarah Breedlove, plus connue sous le nom de C.J. Walker, celle-là même à laquelle Netflix consacre une série. Pour la situer, C.J. Walker est l’une des premières femmes afro-américaines à être millionnaire. Elle en est arrivée là en commercialisant des produits capillaires. Dans la série de Netflix, son personnage est interprété par Octavia Spencer, une pointure qui a obtenu en 2012 l’oscar du meilleur second rôle féminin pour sa performance dans La Couleur des sentiments, film écrit et réalisé par Tate Taylor.
Là où commence l’aventure
Les premières scènes de la série sont saisissantes. Sarah Breedlove rencontre Addie Munroe. Cette dernière fait du porte-à-porte pour proposer son baume capillaire destiné à fortifier les cheveux crépus. Comme beaucoup de femmes de son époque, Sarah Breedlove souffre d’une maladie du cuir chevelu. Le produit d’Addie Munroe dénommé « Wonderful Hair Grower » s’avère magique. En quelques semaines, Sarah Breedlove retrouve une bonne santé pour ses cheveux. Sa confiance en elle aussi grandit grâce aux soins que lui apporte Addie Munroe. Blanchisseuse et pauvre, Sarah n’en éprouve pas moins la volonté d’être partie prenante du commerce d’Addie. Problème : la femme d’affaires ne veut pas. Qu’à cela ne tienne, Sarah Breedlove insiste et, devenue Madame C.J. Walker, elle lance sa propre gamme de produits. Au-delà de la rivalité qui l’oppose à Addie Munroe, elle réussit à tracer sa route et à construire un véritable empire dans une société raciste et machiste. Fille d’anciens esclaves, Afro-Américaine, Madame C.J. Walker a réussi à concrétiser son « rêve américain » : elle est devenue millionnaire.
L’histoire d’une vie
Sarah Breedlove devenue Madame C.J. Walker naît le 23 décembre 1867 en Louisiane, aux États-Unis, soit deux ans après l’abolition de l’esclavage. Ses parents qui travaillent dans les champs de coton décèdent peu après sa naissance. Mariée à 14 ans, elle devient maman d’une petite A’Lelia en juin 1885. À 20 ans, elle se retrouve veuve. C’est après avoir épousé Charles Joseph Walker qu’elle emprunte les initiales et le nom qui lui serviront de marque pour ses produits cosmétiques.
Pour vendre ses produits, à savoir des shampoings, des pommades ou encore des peignes chauffants pour défriser les cheveux crépus, Madame C.J. Walker, tout comme Addie, utilise des techniques de vente bien rodées : porte-à-porte, cadeaux offerts aux clients, réseaux de vendeuses. La voilà à la tête d’une affaire florissante qui prend des allures d’empire quand, en 1919, elle disparaît brusquement à Irvington, dans l’État de New York. À 51 ans, elle a laissé derrière elle une marque de cosmétiques célèbre.
La réalité tronquée sur Addie Munroe et C.J. Walker
Depuis sa sortie en mars 2020, alors que le monde plongeait dans son confinement, la série Self Made, inspirée du livre de la descendante de C.J. Walker, A’Lelia Bundles, fait couler beaucoup d’encre. D’aucuns accusent le géant Netflix de ne pas avoir raconté la « vraie » histoire. Au milieu de ce débat, le récit de l’arrière-arrière-petite-fille de Madame C.J. Walker, A’Lelia Bundles, est d’un apport précieux pour mieux entrer dans l’univers de la vraie Sarah Breedlove.
Et voilà ce par quoi elle commence : « Netflix était intéressée par l’histoire de mon ancêtre, Madame C.J. Walker, qui a surmonté beaucoup d’obstacles pour bâtir son empire. Noire, femme et entrepreneuse à succès, elle est devenue millionnaire, ce qui était inhabituel à l’époque ! La série montre bien son parcours, sa volonté d’entreprendre, son courage et son audace. Elle permet aussi de pouvoir parler de la vie de C.J. Walker et de la faire connaître. J’insiste sur le fait que, pour en savoir plus, il faut lire mon livre, car il est impossible de raconter toute une vie en 4 épisodes de 45 minutes ! » « La série ne peut pas raconter tous les détails, comme la relation qu’elle entretenait avec ses frères qui étaient barbiers et lui ont facilité la compréhension du monde capillaire », poursuit A’Lelia Bundles.
Netflix raconte une réalité qui n’a pas toujours existé et dresse un portrait peu flatteur de certains personnages, comme celui de la descendante d’Addie Munroe, Annie Turnbo Malone, dans la série. Elle est présentée comme une femme jalouse, méchante et prête à tout pour faire couler le business de sa rivale lorsqu’elle constate le succès des produits de Madame C.J. Walker. Sasha Turnbo a dénoncé les mensonges qui circulent sur son ancêtre. « Le personnage d’Annie Turnbo Malone n’a rien à voir avec Addie Munroe. Celle-ci a appris le business à C.J. Walker. Addie a ouvert de nombreuses écoles, partout dans le monde, à Saint-Louis, Chicago ou encore New York, et n’a pas arrêté de répandre sa lumière. C’est une femme emblématique. »
Des propos qu’A’Lelia confirme : « En réalité, C.J. Walker a travaillé pour Addie en tant que commerciale pendant un an et demi et a vendu ses produits capillaires. Addie est une figure historique importante, une philanthrope et une femme qui a aidé des milliers d’autres femmes noires à s’insérer dans la société. Elle a développé une entreprise prospère à Saint-Louis. Leur rivalité est exagérée ! » Révolutionnaire, Addie Munroe a notamment été la fondatrice du Poro College en 1918, une école de cosmétiques, ouverte aux femmes afro-américaines. Elle est devenue, comme Madame C.J. Walker, millionnaire, grâce à son baume pour cheveux. Addie a simplement fait fortune avant l’autre.
« Tout en travaillant en tant que cuisinière pour un pharmacien à Denver, Madame C.J. Walker a peaufiné la formule de son Wonderful Hair Grower, une pommade qui a été développée pour la première fois un siècle plus tôt. La série Netflix est très inexacte ! » affirme A’Lelia Bundles, avant de poursuivre : « Aucune de ces deux femmes n’a été la première à créer ce type de formule, à base de vaseline et de soufre. Le remède, qui existe depuis plusieurs siècles, était destiné à guérir les infections sévères du cuir chevelu. »
La rivalité entre les deux femmes est donc largement « exagérée », selon A’Lelia. D’autant plus que le géant américain Netflix a insisté sur le colorisme, ce qui a fait bondir les téléspectateurs. Dans la série, Addie Munroe est métisse et refuse que Madame C.J. Walker vende ses produits, sous prétexte qu’elle n’a pas la même couleur de peau et qu’elle ne représente pas sa marque. « Addie Munroe n’était pas métisse, comme dans la série. Elle était noire. Ce conflit n’impliquait pas la couleur de peau, ni la supériorité d’une femme par rapport à une autre. Netflix a amplifié cette rivalité ! Il n’y avait pas besoin de cet élément fictif pour raconter cette histoire. »
La relation entre Madame C.J. Walker et Booker T. Washington
Dans la série télévisée, l’héroïne évolue dans un monde complètement machiste et misogyne. Seul son mari la soutient et l’aide dans la construction et la promotion de son entreprise. Elle, qui ne recule devant rien, finit par rencontrer Booker T. Washington, personnalité publique noire très influente. Elle cherche à obtenir son soutien pour qu’il investisse dans son usine. Celui-ci désapprouve les produits cosmétiques et son succès.
La fiction va même beaucoup plus loin. À l’écran, le personnage avoue préférer voir des hommes réussir plutôt que des femmes ! Un élément que vient rectifier A’Lelia Bundles. « En réalité, Booker T. Washington était un peu agacé, mais il a finalement accueilli son succès convenablement. » Quant aux mentions concernant le magnat du pétrole et richissime homme d’affaires John D. Rockefeller, là encore, Netflix a tout inventé. La série met en scène la rencontre entre l’entrepreneuse et l’homme d’affaires, qui sont voisins. Pourtant, A’Lelia Bundles l’assure : « Madame C.J. Walker n’a jamais rencontré John D. Rockefeller. »
Self Made contient des éléments fictifs et ignore des faits réels
Si Netflix montre l’incroyable réussite professionnelle de Madame C.J. Walker, elle n’a pas insisté sur sa générosité. « J’ai pourtant donné mon avis tout au long du processus d’écriture du script. Mais certaines de mes suggestions ont été ignorées, car la série souhaitait ajouter des éléments fictifs », confie A’Lelia Bundles.
Au cours de sa vie, C.J. Walker, femme philanthrope, fait régulièrement des dons aux organisations de lutte pour l’avancée des droits afro-américains. À Indianapolis, elle a soutenu financièrement les Afro-Américains pour la recherche d’emploi, l’accès à l’éducation et aux soins médicaux. Activiste, la cheffe d’entreprise n’a pas arrêté de dénoncer les injustices et les discriminations envers le peuple afro-américain en condamnant les lois Jim Crow qui imposaient, entre autres, la ségrégation entre Noirs et Blancs dans les lieux publics. « Elle était révolutionnaire pour son époque ! Elle a fait beaucoup de publicité dans les journaux noirs et ouvert des écoles de beauté », ajoute sa descendante. Pour elle, la voix de C.J. Walker continue de résonner pour de nombreuses Afro-Américaines puisque la marque « Madam C.J. Walker Beauty Culture » rencontre toujours autant de succès. C’est pour maintenir vivante la flamme de Madame C.J. Walker que A’Lelia Bundles, sa descendante, également journaliste par ailleurs, s’efforce de raconter la « vraie » histoire sur son site Internet.